L’élection pour le remplacement de Didier Burkhalter au Conseil fédéral aura été sans pitié pour la seule candidate féminine, la vaudoise Isabelle Moret, à l’issue de cette course inégale face à Pierre Maudet et à l’ultra favori Ignazio Cassis. 28 voix au deuxième tour sur 246, ce n’est pas un échec, c’est un camouflet.
Analyser les raisons d’une défaite, c’est toujours plus facile que d’anticiper les coups quand on est dans la tourmente. Mais c’est indiscutable : Isabelle Moret a commis des erreurs, notamment stratégiques. J’aimerais m’arrêter ici sur l’une d’entre elles, car elle concerne directement le thème de ce blog : les femmes et la communication.
Ainsi, j’ai ainsi failli tomber de ma chaise (faux ! J’étais alors au volant de ma voiture. Mais vous voyez l’image…) lorsque j’ai entendu la députée vaudoise au micro de Forum sur La Première évoquer le problème du réglage des micros. Répondant à Christian Favre avec une naïveté déconcertante, la candidate aux plus hautes fonctions de l’Etat s’est vaillamment lancée dans une explication sur les problèmes que lui causent sa voix et la manière technique de les atténuer. Ses déclarations ont été bien sûr reprises et commentées dans l’émission du lendemain.
C’est vrai, au début de sa carrière politique, cette voix qui devenait facilement haut perchée sous l‘effet du stress et du manque d’assurance a valu à Isabelle Moret le sobriquet de Fée clochette. Un président de Grand conseil vaudois s’est même permis d’y faire allusion lorsque celle-ci a annoncé son départ de l’auguste assemblée, faisant ainsi preuve de la plus crasse des misogynies (a-t-on jamais vu un hommage fait à un député homme et mentionnant sa voix ???). Mais par le travail, l’expérience –et peut-être, en petite partie, grâce à la technique- cette caractéristique s’est atténuée et n’est plus, aujourd’hui, un sujet. Pourquoi y revenir ? Pourquoi souligner ce que certains perçoivent comme un défaut ? Tendre les verges pour se faire battre n’est pas, à mon humble avis, la meilleure des stratégies quand on veut se faire élire.
Cela dit, Isabelle Moret a évoqué ce jour-là ce que tant d’autres font sans en parler. Et en cela on peut lui reconnaître une certaine franchise. Beaucoup, en effet, en politique comme dans d’autres domaines, cherchent à tous prix à baisser leur voix. Des hommes aussi bien sûr ! Parfois même jusqu’à la caricature. Pourquoi ?
Pourquoi les voix de femmes « passent»-elles moins que celles de hommes ? Pourquoi les femmes doivent-elles tenter de faire ressembler leur voix à celle d’un homme pour paraître plus crédibles ? Ces questions nous renvoient à ce que nous avons le moins envie de voir au fond de nous-mêmes, auditeurs et auditrices : une voix basse, même pour une femme, suggère la force, la virilité. Des valeurs masculines. Et cette voix basse, suggérant cette assurance, et cette force, nous rassure. On le voit bien, l’avalanche de stéréotypes déboule assez vite quand on entend une femme dont la voix nous dérange. Voix jugée trop haute ? C’est de l’hystérie. Une voix qui déraille à un moment ? L’oratrice ne sait pas gérer ses émotions, elle panique. Donc elle est faible. Donc elle ne pourra pas correctement diriger ce département, ce service, ce dicastère…Bref, la voix des femmes cristallise tout ce que ce que nous, auditeurs, auditrices, avons ingurgité comme clichés sexistes depuis que nous sommes au monde.
Une autre explication serait peut-être tout bonnement à chercher du côté de nos habitudes : nos oreilles sont moins habituées-oh combien moins ! – à entendre une femme parler politique (économie, finance, philosophie, géostratégie,…peu importe) qu’un homme. Et ce qui n’est pas habituel dérange, bien souvent. Sans parler du manque d’expérience des oratrices elles-mêmes : elles ont moins souvent accès aux médias que les hommes, sont moins souvent sollicitées, donc s’entraînent moins, et finalement sont moins rodées le jour « j ».
Quoiqu’il en soit, et bien sûr pas seulement à cause de sa voix, ni de cette maladresse médiatique, la vaudoise n’accèdera pas au Conseil Fédéral. Le chemin des femmes -à droite, plus encore- est encore tellement long pour qu’on écoute et commente les idées qu’elles expriment plutôt que le timbre de leur voix…
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